Il y a 4 ans sortait le premier numéro d'America, revue trimestrielle française sans publicité, lancée en 2016 par les journalistes François Busnel et Eric Fottorino. Prévue pour être éphémère, la série s'est arrêtée en janvier 2021 avec le départ de Donald Trump.
À l’instar du titre du dernier numéro qui a paru ce mois de janvier 2021, “Hello...goodbye!, l’aventure d’America s’arrête avec le départ de Donald Trump, annonçant de nouvelles perspectives avec l’investiture de Joe Biden, 46e président des Etats-Unis. C’est à l’occasion de la fin de cette aventure graphique pour Sarah Kahn, diplômée en 2008, qu’elle revient sur la naissance et la mise en œuvre de ce projet singulier, à travers son expérience de directrice artistique.
Comment avez-vous abordé la direction artistique de America ? Aviez-vous des références en tête?
America s’est créée autour d’une idée bien précise : couvrir le mandat de Trump pendant 4 ans à travers de grandes plumes américaines. On m’a proposé le projet alors que je venais de rentrer d’un an passé à New York, Trump venait d’être élu et je me souviens qu’il y a avait une très forte ambiance de protestations et de manifestations dans les rues, tout était extrêmement stimulant sur le plan créatif. Je me suis beaucoup inspirée de ce que je voyais mais aussi de tout l’univers des mouvements de révoltes et des signes de résistance de l’histoire américaine. Ça va des affichages de Yoko Ono pour la guerre du Vietnam en passant par des photographies de Bob Adelman.
“On m’a laissé une très grande liberté de proposer un large choix d’artistes”
Comment se sont réparties la direction de création et la direction artistique entre l’agence Be-pôles et vous ?
Assez naturellement. Be-pôles devait créer la maquette ainsi que le numéro zéro puis un DA devait ensuite gérer les numéros tous les trimestres.
C’était la première fois que je travaillais à partir d’une création de maquette que je n’avais pas conçue mais j’étais très à l’aise avec leur création et j’apprécie leur travail donc ça a été très fluide.
Comment se sont opérés les choix des photographes, des illustrateurs ?
Au coup de cœur. On m’a laissé une très grande liberté de proposer un large choix d’artistes. J’avais très envie de mettre en avant l’illustration contemporaine et de jeunes talents. En 4 ans, on a vraiment eu de très belles collaborations et aussi de magnifiques écritures qui reflètent l’époque comme la photographe Stacy Kranitz et son reportage dans les Appalaches sur l’addiction aux opioïdes, le génie de Chris Ware ou l’engagement politique par le graphiste Edel Rodriguez.
Savez-vous si America est lu par les américains de France, par les français des États-Unis ?
Je sais que America est très suivi aux Etats-Unis. Le New Yorker avait parlé de nous à la sortie du magazine. Il est également distribué dans quelques librairies à New York comme « Albertine » et nous avons récemment sorti une anthologie en version américaine de la France et des Etats-Unis, publiée chez Grove Atlantic et distribuée uniquement aux Etats-Unis.
New-York ou Los Angeles ? Salinger ou Kerouac ? Milton Glaser ou David Carson ?
Définitivement New-York ! Elle représente plusieurs tournants de ma vie particulièrement importants. La sensibilité de Salinger et le génie de Milton Glaser.
De nouveaux projets ?
En ce moment je travaille sur un habillage de chaine télé et la conception graphique d’un hôtel parisien qui verra le jour au printemps.
L'Hôtel Paradiso, tout premier Cinéma-Hôtel imaginé par Nathanaël et Elisha Karmitz, directeurs des cinémas MK2, s’apprête à ouvrir ses portes dans le 12e arrondissement de Paris au mois de mars 2021. Entourée d’un collectif d’artistes-amis talentueux, à l’instar des architectes Daniel Vaniche et Paula Castro de l’agence DVVD, de la décoratrice Alix Thomsen, du concepteur lumière Philippe Collet, mais aussi des artistes JR et Christian Boltanski, du musicien Woodkid ou encore du styliste Alexandre Mattiussi, Sarah Kahn s’est vue confier la direction artistique et l'identité graphique du lieu.
Sur le projet Hôtel Paradiso, avez-vous été amenée à travailler avec les autres collaborateurs investis dans le projet ? (styliste, architecte, artistes...)
J’ai beaucoup travaillé avec la décoratrice Alix Thomsen avec qui on devait accorder nos visions afin que ce soit le plus harmonieux possible. Ensuite différentes collaborations sont intervenues comme avec le styliste Alexandre Mattiussi (Ami) qui a conçu les uniformes en utilisant le logo de l’hôtel. Julien Raout, plus connu sous le nom de « 6 lettres » a peint toute l’enseigne représentant le logo en répétition (qui était un sacré chantier !). Ça a été très intéressant de voir comment les artistes s’approprient l’identité sur leurs propres supports.
"Le concept de l’hôtel étant très innovant, il bouleverse un peu les codes de l’hôtellerie"
Quels ont été les supports sur lesquels vous avez été amenée à exercer votre direction artistique ?
On retrouve la DA sur plusieurs médias : l’écran iPad, qui sert de plateforme digitale, l'écran de veille des chambres, représenté en fausse perspective immersive tel une invitation à entrer dans l’écran; la signalétique, qui fait référence au ruban filmique et à la multiplication des images dans le cinéma. Il y a également des petits clins d'œil empruntés à l'univers scénaristique qu'on retrouve dans la charte graphique ainsi que les room directory pensés comme de vieux scripts de cinéma, les uniformes, l’ensemble de la partie digitale et on a même dessiné un packaging pour le pot de popcorn..! Le concept de l’hôtel étant très innovant, il bouleverse un peu les codes de l’hôtellerie (un « cinéma » dans chacune des 34 chambres) donc l’identité visuelle est davantage présente en chambres que dans un hôtel classique. C’est pourquoi il fallait proposer une identité visuelle qui puisse se réinventer sur chaque support afin d’éviter les répétitions.
Quelle a été votre inspiration générale pour la conception de la ligne graphique de l'identité de Hôtel Paradiso ?
Mon inspiration vient de l’art cinétique qui offre de nombreux effets graphiques et illusions d’optiques. De Yaacov Agam en passant par Vasarely, je trouve que c’est un terrain de jeu sans fin quand on applique cet héritage pour une identité visuelle. Puis ça a permis de proposer un univers tout en mouvement en se démarquant volontairement des clichés visuels du cinéma. Ensuite il y a une forte inspiration Bauhaus pour toute la décoration et la typographie choisie et enfin, j’ai rajouté une planche couleur très 70’s qui réveille les différents espaces par des petites touches pop. Le premier enjeu était la volonté de sortir des clichés visuels attendus du cinéma, et d'explorer plusieurs formes d'art et courants artistiques issus de cet héritage.
Crédits photo Paradiso ©RomainRicard / ©FredLahache