Je suis très heureuse d’être là, d’avoir présidé ce jury, d’en avoir choisi un certain nombre des membres, d’en avoir fait partie, d’avoir vu vos projets ; parce que depuis à peu près vingt ans, ma vie n’est qu’une suite de collaborations avec des anciens de Penninghen. Donc c’était vraiment pour moi un couronnement ce soir.
Je dirige un magazine de décoration donc bien évidemment, je suis en contact avec de nombreux architectes d’intérieur dont on a montré les projets dans nos pages, ou qu’on a présenté dans des événements comme le AD Intérieurs que certains d’entre vous ont déjà vu. Évidemment parmi ceux-là, il y avait des stars montantes d’aujourd’hui, comme Tristan Auer, Dorothée Boissier ou encore Hugo Toro, des gens qu’on suit depuis longtemps et qu’on apprécie beaucoup.
“Vous avez reçu une éducation particulière. Vous avez appris à exprimer votre propre personnalité, c’est capital dans des métiers de création.”
Diriger un magazine c’est d’abord travailler avec tous ceux qui font la partie visuelle. Il y a évidemment un contenu mais il y a une expression de ce contenu, et c’est le travail avec les graphistes et les directeurs artistiques qui pour moi est essentiel. Bizarrement, dans mon parcours, j’ai travaillé presque exclusivement avec des gens qui ont fait votre école. D’abord, c’était un hasard. Le premier était Éric Pillault, qui enseigne d’ailleurs aujourd’hui à l’école. J’ai compris avec lui et avec d’autres qui ont suivi, que vous aviez appris et reçu une éducation particulière qui était très proche de ce que moi je cherchais en tant que rédactrice en chef : une exigence, une inventivité, une capacité de se remettre en cause. Cette capacité de dépasser des formats qu’on a déjà imaginés pour en inventer de nouveaux; un travail entre le texte et l’image qui est fondamental. C’est le fondement de votre travail en direction artistique.
Alors, j’ai eu à cœur de continuer à chercher d’autres “bébés Penninghen”, et au fil des années, on a fait la sortie des cours et on a pris beaucoup de gens qui étaient tout juste diplômés, comme vous, qui sortaient quelques jours après leur diplôme. On les a rencontré, ils ont intégré la rédaction, ont fait un certain parcours avec nous. Beaucoup d’entre eux volent désormais de leurs propres ailes ou continuent de collaborer avec le magazine en free-lance. Pourquoi cette obsession pour les “bébés Penninghen” ? Je le redis, c’est parce que vous avez reçu une éducation particulière. Je l’ai vu dans vos projets proposés pour les jurys de diplômes. Vous avez acquis la rigueur, l’exigence, vous avez acquis des savoir-faire pointus. J’ai vu les vidéos, j’ai vu le travail de 3D, j’ai vu tout ce qui a d’ailleurs beaucoup évolué au cours des dix dernières années.
Mais surtout ce qui était le plus important pour moi, c’est que vous avez appris à exprimer votre propre personnalité. Et je pense que c’est capital dans des métiers de création. Qu’est-ce que j’ai à dire ? Qu'est-ce qui va faire les différences entre moi et un autre ? Comment à travers mon histoire, les influences que j’ai reçues, mes goûts, je vais traduire tout ça, à travers mon travail ? Je pense que vous avez tous beaucoup travaillé dans cette direction là pour aborder ce diplôme, pour moi c’était très visible, et c’est peut-être aussi une marque de l’école. J’ai été jury dans de nombreuses autres écoles et ça n’était pas aussi évident. Donc vous avez commencé à construire votre univers, graphique, imaginaire, et maintenant que vous avez un diplôme, eh bien ça n'est pas fini !
“On a le devoir de continuer à apprendre, à être curieux, à comprendre ce qui se passe autour de soi, à s’approprier tout ce matériel extraordinaire de façon à le transformer, pour en faire son propre travail d’expression.”
En fait, c’est maintenant que ça commence et c’est maintenant qu’il va falloir que vous travailliez sur cette richesse, parce que c’est elle qui va vous accompagner tout au long de votre carrière. Sylvia (Tournerie) vous a dit “je vous interdis de vous ennuyer !” et elle a raison. C’est une chance incroyable de faire les métiers que vous faites ou celui que je fais d’ailleurs, qui est assez proche. On n’a pas le droit de s’ennuyer, et on a le devoir de continuer à apprendre, à être curieux, à comprendre ce qui se passe autour de soi, à s’approprier tout ce matériel extraordinaire de façon à le transformer, pour en faire son propre travail d’expression. Alors évidemment, demain vous allez commencer à travailler, moi je vous dis : ne vous laissez pas emprisonner dans les exigences professionnelles. Gardez des plages de liberté. Gardez des espaces de créativité. Gardez des jardins secrets. Parce que c’est là que vous allez développer votre propre richesse. Ne vous laissez pas non plus emprisonner dans les modes. Il y a des tendances, il y a des modes. Tout d’un coup c’est les années 80, ça revient, et tout le monde fait du Memphis…! Vous avez beaucoup mieux à dire que ça. Evidemment Memphis c’est formidable. Évidemment il faut connaître tout ça, s’en imprégner. Mais il faut le transformer à travers ce que vous êtes vous-même. Mon message c’est soyez libres, soyez vous-mêmes, quoi que vous fassiez et trouvez votre propre voie !
Discours de Marie Kalt, présidente du jury 2021, Institut du Monde Arabe, 23 juin 2021