Romain Demongeot diplômé en Direction Artistique en 2008 a récemment été nommé directeur créatif exécutif chez Rodéo FX, une des meilleures agences d’effets spéciaux au monde, basée au Canada. À cette occasion, il a accepté de revenir sur son parcours à Penninghen et d'évoquer sa carrière et ses projets.
Peux-tu te présenter ?
Je suis à mi-chemin entre un artiste et un manager. J’ai fait de ma carrière artistique une priorité dans ma vie. J’ai toujours voulu mélanger l’art et la techno, c’est ce qui me plait. Tous mes choix vont dans ce sens-là. J’ai grandi dans une famille avec une fibre et une sensibilité artistique. Ma grand-mère était en prépa à Penninghen (Académie Julian à l'époque) avec le sculpteur Roland Guillaumel, qui a longtemps été professeur à l’ESAG, un grand monsieur du dessin et de la sculpture.
Pourquoi avais-tu choisi Penninghen ?
Initialement je voulais faire du jeu vidéo ou du film. Je m’étais rendu à un salon des métiers artistiques où j’ai rencontré une école, l’une des meilleures de ce secteur, qui m’a expliqué que je devais absolument savoir dessiner pour suivre leur formation et qui m’a donc conseillé de faire l'année prépatoire en arts appliqués Penninghen. Je ne suis jamais retourné vers une formation 3D. J’ai préféré rester à Penninghen car on apprenait un peu de tout et surtout on y développait une idée plus large de ce qu’est la Direction Artistique. Je remercie vraiment les dirigeants de Penninghen qui à l'époque m’ont octroyé une bourse d’études et permis d’étudier à l’école. En restant à Penninghen, j’ai bénéficié de toute cette culture de l’histoire de la peinture, de la sculpture, de la typographie. Il y a de supers profs et si tu t’intéresses à leurs domaines, que tu t’investis à fond dans chaque cours, tu ressors de là tu es plus fort que tout le monde.
Comment s’est passée ton insertion professionnelle une fois diplômé de Penninghen ?
J’ai été embauché chez Duke, importante agence de design interactif, parce que je venais de Penninghen. Chez DDB, le Directeur de Création m’a embauché parce que j’avais une formation artistique et que je ne venais pas d’une école de pub. J’avais une grande longueur d’avance en direction artistique. C’est aussi ce qui m’a permis d’aller chez Publicis luxe où il n’y avait quasiment que des gens de Penninghen. Avoir fait cette école m’a énormément servi partout en France c'est clair et net.
Est-ce que l’école t’avait suffisamment préparé à entrer dans le monde du travail ?
Pas en termes de « savoir se vendre » ou de ce à quoi cela allait réellement ressembler. L’avantage qu’on a en sortant de Penninghen c’est d’avoir été formé à énormément de matières différentes, on a pris l’habitude de sauter intellectuellement de disciplines en disciplines pendant 5 ans, on développe de nouvelles compétences sans arrêt. Personnellement ça m’a ouvert à tous les types de projet, mais aussi à l’international dans le sens où ne jamais arrêter d’apprendre m’a permis d’avoir un cerveau qui s'adapte à tout.
Que fais-tu aujourd’hui ?
Je suis directeur créatif exécutif chez Rodéo FX, une des meilleures agences d’effets spéciaux au monde, basée au Canada. Ils ont notamment fait les effets spéciaux de Stars Wars, Stranger Things pour Netflix, Kong vs Godzilla, des films primés et des films plus grand public. Rodeo FX est un gros player très qualitatif de tout ce qui est “entertainment”. Ils ont aussi monté une entité de pub pour faire des trailers de jeux vidéos et des grosses pubs. Moi je m'occupe de cette partie là. On est pour le moment une équipe de 50 personnes en advertising. J’ai été embauché pour faire grossir cette équipe, notamment avec l’ouverture de nouveaux bureaux et les recrutements qui iront avec.
Qu’est-ce qui t’a motivé à prendre ce poste ?
Par rapport à d’autres postes que j’ai pu occuper par le passé, Rodeo FX est une structure débutante au niveau de la pub. Pour moi c’est intéressant niveau management et business d’aller chercher et ramener des nouveaux clients et construire les équipes. C’est aussi un challenge artistique, même si mon travail maintenant n’est plus de faire “des trucs qui déchirent visuellement” moi-même, je sais déjà le faire depuis longtemps. Maintenant j’ai plutôt envie de faire des projets cools en équipes, manager, faire grossir une boite et la développer à l’international.
Comment en es-tu arrivé à un poste avec de telles responsabilités ?
Au fur et à mesure du temps, grâce aux projets que j’ai eu en tant que directeur artistique. Quand on est Directeur Artistique dans une agence de pub on doit vendre et produire des idées. Quand je travaillais pour McDonald’s mes idées étaient souvent en lien avec la 3D ou les jeux vidéos. À côté de ça, après Penninghen, j’ai fait des études d’acting en cours du soir entre 2010 et 2013, ce qui m’a permis de faire de la réalisation et des courts-métrages qui intégraient de la 3D. Petit à petit, tout ça cumulé à beaucoup de travail, m’a aidé à orienter ma carrière dans ce que je voulais faire. Il n’a jamais été question que je devienne seulement un artiste, j’ai toujours eu envie de voyager, découvrir et aller dans différentes compagnies. Pour intégrer Rodéo FX, j’ai postulé à une annonce LinkedIn alors que je dirigeais le département animation de Media.Monks, agence mondiale d’origine hollandaise de global content, data, et media. Rodéo FX a été très impliqué dans mon arrivée au Canada. Ils m’ont loué un appartement ici, ils m’ont accompagné pour simplifier et préparer mon arrivée, ils ont géré les visas…
Tu as construit une grosse partie de ta carrière à l’étranger. Pourquoi ce choix ?
J’étais content de travailler pour des grosses marques mais j’ai toujours aimé la 3D. Faire des films, c'était l’ultime projet que je voulais accomplir mais en France c’est très cloisonné, tu ne peux pas te balader entre les postes comme tu veux. J’ai voulu briser les silos et toucher un peu à tout, c’est pour ça que j’ai quitté la France à un moment. Je suis parti en Angleterre où c’est beaucoup plus ouvert. J’ai pu apprendre l’IA, la VR et la réalité augmentée et réaliser mes premières publicités. J'aime changer de continent pour apprendre continuellement et parce que la France n'est selon moi pas assez avancée d’un point de vue technologique. J’avais ciblé un certain nombre de pays et de villes avancés en tech et en grosses productions publicitaires, comme l’Angleterre qui reste le meilleur pays pour faire de la pub, régulièrement primée dans ce domaine, tout comme New-York et Amsterdam.
Le Canada, le Royaume-Uni, les États-Unis, les Pays Bas, sont selon toi des pays précurseurs technologiquement ?
Oui, par rapport à la France. En France on a une super culture du vidéoclip par exemple, il y a de très bonnes agences à Paris. C’est un pays avec un passé, un bagage, une histoire, ce qui n’est pas le cas du Canada par exemple, qui n’a que 300 ans. Ils ont été colonisés par les français et les anglais, on ressent cette différence d’héritage. En France il y a de belles traditions, des grands artistes, des grands clippers, des iconoclastes, des visions… Mais niveau technologie, AR, VR, AI, ou même les moteurs de 3d en temps réel comme unreal engine, et leurs intégrations dans les offres publicitaires, on est effectivement un peu plus en retard que d’autres pays.
Penses-tu que la France subisse une fuite des cerveaux artistiques et créatifs ?
Tout dépend de ce que tu veux faire. Si tu veux faire de la direction artistique pour de l’éditorial, du print, de la photo, il y a des opportunités en France. J’ai plein d’amis qui s’y sont lancés après Penninghen. Si tu veux travailler dans le luxe, il y a de superbes opportunités après cette école, comme pour la réalisation. Personnellement, ce que je voulais faire c’était diriger des grosses agences, avec des gros clients internationaux et c’était plus facile l’étranger.
Au cours de ta carrière tu as exercé dans différents pays et continents, était-ce une volonté de découvrir de nouvelles cultures ou t’es-tu laissé porter par les opportunités ?
C’est dans ma personnalité. Depuis tout petit, je suis attiré par l’art et le voyage. Comme mon corps recouvert de tatouages, c’est pour moi une forme d’art. Je sais depuis que je suis jeune que peu importe le métier que je ferais, il faudrait que je puisse m’habiller comme je le voulais, et que je fasse quelque chose qui me permette de voyager partout. Je veux pouvoir être qui je veux, où je veux. L'art c’est génial pour ça. Je parle très bien anglais et espagnol mais quand tu exerces un métier d’images, c’est un langage à part qui fonctionne même mieux que les mots pour moi. Être directeur artistique c'est un peu un passeport mondial.
As-tu eu des difficultés d’intégration dans les postes que tu as occupé avec ton bagage français ?
Non. J’étais boursier durant mes études à Penninghen et j’ai été classé parmi les premiers pendant 5 ans. J’étais entouré d’étudiants qui venaient d’autres classes et milieux sociaux que moi, j’ai déjà dû apprendre à m'intégrer à ce niveau-là. Mais en étant premier de l’atelier, on me respectait, on me demandait des conseils. Ça m’est resté. Travailler est le meilleur moyen de s’intégrer. Le fait aussi d’apprendre constamment, notamment les nouvelles technologies, c’est une méthode et une attitude qui m’ont toujours permis de réussir et de m'intégrer. Je suis toujours parti du principe que je ne savais rien et que j’avais tout à apprendre.
Artistiquement et créativement, qu’est-ce qui te manque en France aujourd’hui ?
On a une belle et riche culture en France quand même. On a de supers marques de luxe, on a des cinéastes géniaux… Ce qui manque en revanche, ce sont les gros budgets vraiment intéressants. Il y en a quelques-uns, dans le luxe, mais de manière générale, les gros budgets sont aux US, ou aux UK.
Tu penses revenir un jour en France ou c’est exclut de tes projets ?
Oui je pense, on vient d’ouvrir des bureaux à Paris pour Rodéo FX.
D’un point de vue personnel, arrives-tu à t'épanouir créativement et artistiquement ?
Oui, ça fait partie de moi, c’est ma raison d’être. Je peux mener de beaux et chouettes projets en agence mais il n’empêche que pour exprimer ce que je ressens sur la société et sur le monde ça ne peut pas se faire avec un projet publicitaire. L’argent que je gagne grâce à la pub, je l’investis pour mes courts-métrages et mes clips. Comme je suis assez connu dans l’industrie, ça me permet d’avoir de la visibilité sur mes projets personnels et de participer à des festivals, d’avoir de la presse. Actuellement je travaille sur un nouveau court-métrage qui traite de la bipolarité, ça s'appelle “les tempêtes bipolaires”. Je fais également le rap, la musique, les images...
Tu travailles seul dessus ?
Non, quand je fais un projet comme celui-là, j’ai des personnes qui travaillent pour moi. J’avais une équipe de 40 personnes par exemple pour « la dernière prophétie », mon court-métrage sur les religions et la science-fiction. Je ne fais pas le projet tout seul même si je le dirige entièrement. Je collabore d’ailleurs souvent avec des anciens de Penninghen sur ces projets.
Combien de courts-métrages as-tu produit ?
En tout, j’ai fait trois courts-métrages qui ont bien marché et un clip qui a également bien marché. Le nouveau sera mon quatrième, à mi-chemin entre le court-métrage et le clip.
Combien de temps te prennent ces projets ?
Chaque projet personnel prend environ quatre ans à réaliser. C’est un art encore différent que de faire un scénario. Il y a des règles pour écrire un film, tout comme pour faire de la peinture. Pour chaque projet, je passe un an à me mettre la tête dedans, être sûr de mon sujet et de mon angle. Pour le projet sur lequel je suis actuellement, il m’a fallu encore six mois pour écrire le rap en lui-même et encore six mois pour trouver les bons musiciens. Après, il faut filmer, réunir l’argent car un tournage coûte quand même entre 10 000 et 30 000 euros, sans parler de la 3D qui coûte chère. Comme je ne veux pas mener de projet médiocre, je veux produire quelque chose de fort visuellement, avoir un impact, donc mes projets me coûtent cher .
Pour chacun de ces projets, as-tu un plan de communication ou un plan média ?
Oui j’ai des journalistes qui travaillent avec moi depuis le début de ma carrière, qui m'aident à faire les Relations Publiques, donc j’ai toujours énormément de retombées presse sur mes projets. J'essaie de toujours prendre le temps d’expliquer ce que je fais car les sujets que je traite sont des sujets “grandes causes”, sociaux, qui parlent de religion, de pollution, de maladies mentales… Ça intéresse souvent les journalistes qui sont plus souvent habitués aux projets peut-être un peu plus fades dans le fond mais qui sont beaux dans la forme.
Comment entretiens-tu ta culture artistique aujourd’hui ?
Je l’entretiens tout le temps, je travaille beaucoup. Je n’ai pas d’enfants donc j’ai plus de temps que la moyenne des gens. Le matin je travaille tôt, le week-end je regarde tout ce qui est sorti. Je suis avec attention les sorties des plus grosses pubs, les plus grosses installations expérimentales, l’intelligence artificielle…
Comment appréhendes-tu cette évolution croissante de l’intelligence artificielle ?
Tout n’est pas tout noir ou tout blanc dans ma tête. J’ai toujours deux points de vue. J’aime la technologie, j’ai tendance à installer les logiciels et à vouloir comprendre comment ça marche. J’ai toujours eu l’habitude d’essayer de comprendre les nouveautés. J’aime bien l'artisanat, la peinture, le dessin également. Mais si tu ne te plonge pas dans la technologie à temps, dans 10 ans t’es mort. Et ça me fait quand même un peu de peine. Chat gpt me fait de la peine pour les écrivains, Midjourney me fait de la peine pour les peintres et les illustrateurs. Stable diffusion et Runway pour les réalisateurs. Mais d’un autre côté, mon métier c’est d'intégrer ces choses- là et de savoir les utiliser à notre avantage. Si l’art doit changer de manière de faire et bien je changerai de manière de faire, mais ça va quand même faire disparaître des métiers que j’affectionne beaucoup. Je suis allé présenter Rodéo FX à de nombreuses agences de pub au Canada. Leurs équipes de créatifs me disaient qu’ils faisaient leurs moodboards avec Midjourney, qu’ils écrivaient une partie de leurs scripts avec Chat gpt…Ça veut dire qu’ils font moins appel à des roughmen et des copywriters, donc c‘est déjà en train de tuer des métiers.
As-tu un conseil pour les futurs étudiants à Penninghen ?
Je crois qu’il ne faut pas se satisfaire de ce que tu es à la fin de l’école. La société évolue très vite, surtout de nos jours, ça n’a jamais été aussi exponentiel. La technologie a plus évolué en un an que les quinze dernières années, ça va extrêmement vite. Donc pour moi si tu n’es pas capable de comprendre qu'il faut que tu continues à apprendre, que tu continues à t’adapter, tu es mort. La technologie évolue tellement vite que tu dois te demander sans cesse si tu vas continuer à être capable de t’adapter à la demande. Mon conseil c’est donc l’adaptation et l’humilité, même si on a quand même des acquis assez puissants en sortant de Penninghen.
Quels sont tes projets futurs ?
J‘écris actuellement une histoire sur l’alcoolisme soit pour en faire un court-métrage soit un film. Puis comme je continue la musique, j’ai des projets musicaux et aussi des projets de long-métrages. Tout va dépendre du pays dans lequel je suis, pour quelle compagnie je travaille, et où en est ma vie. Mais je continuerai toujours à créer jusqu'à ce que je meurs.