Lisa Sanchis est sortie diplômée de Penninghen en 2009 en direction artistique. Aujourd’hui professionnelle de l’édition où elle exerce en tant que graphiste-designer, illustratrice, maquettiste, styliste photo et aussi autrice, Lisa partage avec nous ses dernières actualités dont la publication de sa bande dessinée “La route du bloc”.
Je n’ai que d’excellents souvenirs de mes années passées rue du dragon
Vous êtes diplômée de Penninghen en direction artistique en 2009. Pourquoi aviez-vous choisi cette école ?
C’est mon père, architecte, qui m’a conseillé l’école qu’il connaissait de réputation. Les méthodes d’enseignement ressemblaient à ce qu’il avait pu connaître aux Beaux arts, quai malaquais, dans les années 70 : une pratique rigoureuse et exigeante du dessin, les charrettes de nuit, le fonctionnement en ateliers avec un(e) élève massier(e), les « rendus »… J’ai toujours été quelqu’un de très scolaire. Je crois qu’avoir un cadre, des notes, c’est quelque chose qui me correspondait bien. Qui, pour ma part, me stimulait et me rassurait.
Que retenez-vous de vos années d’études à Penninghen ? Y-a-t-il des disciplines ou des apprentissages particuliers qui vous servent aujourd’hui dans votre pratique ?
Je n’ai que d’excellents souvenirs de mes années passées rue du dragon. Il y a pire que d’avoir 20 ans et de passer ses après-midis à dessiner au jardin du Luxembourg ou au musée d’Orsay, non ? Sinon, pour ce qui est de ma pratique récente en bande-dessinée, je pense au travail de story-board que nous avions eu en 3ème année avec Stéphane Desbenoit et Christine Adam. Pour réaliser un clip en stop-motion dans leur cours d’illustration, nous avions dû au préalable séquencer, découper plan par plan, ce qu’il allait se passer dans notre petit film. Et ce travail laborieux mais néanmoins indispensable… C’est exactement ce qu’il s’agit de faire en bande-dessinée. Faire une bande dessinée ce n’est rien d’autre que de réaliser un film tout seul avec zéro budget.
Quelle a été la rencontre la plus marquante durant vos études à Penninghen ?
Sans doute, celle de mon compagnon dont je raconte la vie et le parcours en tant que chirurgien dans « La route du bloc ». Lui qui était à l’époque interne en médecine, m’a appris à relativiser, lâcher-prise et mettre mon égo de côté. C’est bien d’avoir 7 à son rendu d’arts graphiques, mais on peut aussi s’octroyer un 3 en marketing pour sortir au cinéma. Y’a pas de vies en jeu, on se détend !
Votre première bande dessinée “La route du bloc - une vocation à l’épreuve du réel” sort le 21 septembre. Comment avez-vous eu l’opportunité de réaliser ce projet ? Avez-vous fait le tour des éditeurs ? Pourquoi Delcourt ?
Il se trouve que j’ai été la collègue de Wandrille Leroy, l’éditeur qui a suivi mon projet pour Delcourt. Après la naissance de mon fils, j’ai travaillé pendant 18 mois comme graphiste-maquettiste en interne pour le groupe Steinkis auquel appartenait à l’époque Warum/Vraoum la maison d’édition BD co-fondée par Wandrille. Quand mon projet BD est né, quelques années plus tard, j’ai logiquement pensé à le contacter. C’était pendant le confinement et il m’a énormément conseillé pour ce qui est de constituer un dossier de présentation dans les règles de l’art. Nous l’avons proposé ensemble à deux éditeurs qui lui semblaient correspondre en termes de ligne édito, et c’est Delcourt qui s’est montré d’emblée le plus réceptif et intéressé.
J’avais la trouille. C’est le projet le plus personnel et le plus long que j’ai jamais fait.
Pouvez-vous nous expliquer comment se construit une BD ? Quelles sont les différentes étapes de réalisation ?
Dans mon cas, j’ai d’abord passé un an à recueillir et compiler le témoignage de mon compagnon, ses meilleures anecdotes pour en dégager un scénario. Que de l’écrit, aucun dessin. J’ai ensuite procédé au découpage chapitre après chapitre. Toujours aucun dessin à cette étape. Je me fais mon film dans la tête et j’essaye de le restituer par écrit : les plans, les cadrages, les décors, les dialogues, les récitatifs… Quelqu’un d’extérieur doit pouvoir me lire et visualiser ce que je veux faire. Planche 1, Case 1… J’essaye de mettre un maximum de détails en menant parallèlement une recherche icono assez approfondie (ex : photos des lieux que je vais vouloir représenter…). Quand j’ai le sentiment que ça tient la route, je m’autorise à faire des petits croquis miniatures de mes planches dans un carnet (chaque chapitre oscillait entre 1 et 10 planches). En tout petit, je vois ce qui fonctionne, ce que je peux améliorer. C’est là que je compose la planche, que je vois la taille des cases, leur enchaînement logique. C’est l’étape que je préfère. C’est là où les choses se mettent en place. Puis quand je suis satisfaite, je passe au croquis échelle 1. D’avoir tout balisé en amont permet de m’engager dans le dessin sereinement. En général c’est le moment où je soumets mon travail à l’éditeur. Si ça lui convient, j’enchaîne avec l’encrage définitif, le lettrage (que j’ai fait à la main histoire de souffrir vraiment), et enfin la couleur. J’ai procédé comme ça, de façon quasi chronologique, en suivant gentiment le chemin de fer de mes 208 pages. Ce n’est d’ailleurs pas forcément une bonne façon de faire car on risque ainsi de se retrouver avec les planches les moins bien au début du livre… Mais pour ma première c’est comme ça que je me suis sentie le plus à l’aise.
Qu’avez-vous ressenti en recevant le premier exemplaire de votre BD ?
Haha. J’avais la trouille. C’est le projet le plus personnel et le plus long que j’ai jamais fait. 2 ans enfermée seule chez moi tel un moine-copiste ! Dans ces cas-là, on vire un peu control-freak. Mais là, à c’est instant, quand on reçoit le livre, c’est fini, pas de retour en arrière possible, les 9000 exemplaires sont sortis de l’imprimerie à l’identique. Donc on tourne la BD dans tous les sens, on cherche la coquille en 4ème de couverture, l’erreur fatale, le petit détail qui nous aurait échappé et puis après quelques minutes de feuilletage compulsif, après remise en cause avortée du blanc trop blanc du papier, lorsque tout semble finalement à peu près comme on voulait, on souffle un grand coup et on est content. Satisfait. Et même fier.
Aviez-vous toujours voulu faire de l’illustration ? Comment et pourquoi vous êtes-vous orientée dans ce secteur ? Qu’est-ce qui vous plaît particulièrement dans ce monde ?
Mes grands-parents maternels étaient artiste-peintre et sculpteur et mes deux parents architectes. Je suis donc naturellement née avec un stabilo dans la main. Dès 2 ans et demi, je pouvais passer des heures à dessiner seule dans un état de quasi auto-hypnose. Après, comme j’ai bien aimé être enfant, j’ai sans doute pensé qu’en illustrant des livres, en étant « dessinatrice » je pourrais en rester une. Haha.
Où puisez-vous votre inspiration et votre création ?
Avez-vous des références ? L’enfance, le jeu, l’humour… Mes références sont Tove Jansson, Riad Sattouf, Nick Park, Michel Gondry, Wes Anderson, Richard Scarry, Anouk Ricard, Jean Jullien, Donna Wilson…
Y-a-t-il selon vous un “style” Lisa Sanchis ?
On va dire que j’ai un style assez naïf et joyeux.
Quels conseils donneriez-vous à un futur étudiant à Penninghen ?
Oh bah qu’il s’éclate, qu’il profite à fond d’une ville comme Paris tant qu’il est étudiant : les musées, les expos, les concerts, le ciné. Qu’il s’abreuve et se nourrisse de culture en tout genre tant qu’il a le temps … et les réductions tarifaires !
Quels sont vos projets futurs ?
Faire encore plein d’autres livres ! J’ai un livre d’éveil en tissu en préparation ainsi qu’une bande-dessinée sur un thème plutôt pas marrant mais qui me tient particulièrement à cœur. À suivre !