“Je suis un Président du jury très fier”
Je suis dans l’émotionnel. C’est en réalité un enchaînement d’événements qui ont fait que je suis le Président du jury de Penninghen. Après une longue quête, j’ai engagé il y a trois ans, une ancienne de Penninghen qui venait d’être diplômée, Emma de Gramont. Je faisais les interviews de jeunes gens qui voulaient être mes assistants, qui doivent ressembler à des canifs suisses sachant tout faire puisque je suis protéiforme, j’aime faire de la mode, j’aime faire de l’art, j’aime faire des installations, j’aime faire des performances, habiller même l’Eglise …. Lorsqu’on faisait ces interviews en facetime, je considérais très important ce qu’il y avait derrière la personne. Comment elle avait préparé son mur derrière. Le premier garçon que j’ai interviewé, c’était un “bordel sans nom”, je voyais des choses empilées et je me disais qu’il n'arriverait jamais à ranger mon bureau. Le deuxième, c’était rien…un mur, un chat qui passait de temps en temps, aucune construction. Et puis j’ai interviewé Emma. Et là, l’image était construite comme un Mondrian. Il y avait une lampe champignon en bas à droite, quelque chose de vertical sur la gauche, et puis Emma devant. Et après quelques questions, là je me suis dit, “elle est dans le cadre”. On est allé rue du Dragon avec Emma, pour terrasser le dragon, puis j’ai vu la porte de son école ouverte. Il y avait là un grand tableau noir, et j’ai dessiné un ange à la craie. Je dessine des anges depuis trente ans sur les murs de Paris et là, je l’ai fait sur un tableau noir. Je lui avais proposé de revenir sur les traces de son école et Gilles a vu cet ange. Il s’est dit que l’auteur devait être le Président du jury.
“JE SUIS UN MAGNET FORGÉ DE CURIOSITÉ POUR LES CHOSES DE DEMAIN, DISRUPTIVES, PAS “NORMALES”, LE BEAU BIZARRE (…). C’EST CE QUI ME FAIT ME TENIR DROIT ET CRÉATIF”
On n'est jamais un bon président si on n’a pas des ministres de grande qualité. Je voulais un jury qui me ressemble, qui soit aussi multiple, aussi protéiforme, aussi tentaculaire, aussi diversifié que mon regard. J’ai un regard au 21e siècle qui n’est pas le même que celui du jeune créateur que j’étais lorsque j’avais votre âge. J’ai 73 ans aujourd’hui mais à l’intérieur j’ai 30 ans. Je pourrais avoir une discussion avec vous sur l’art contemporain d’aujourd’hui, pas uniquement sur celle de mes années 80. Je pourrais vous parler d’électro, de design. Je suis un magnet. Je suis un aimant forgé de curiosité; pour les choses de demain, pour les choses disruptives comme disent les anglais, pour les choses pas “normales”, le beau bizarre, les choses qui ne sont pas dans la norme, qui peuvent être avant-garde, qui peuvent être transgressives… c’est ce qui me fait me tenir droit et créatif. J’ai voulu un jury qui soit un peu comme les facettes des yeux d’une mouche. On a eu beaucoup de gens d’exception, de toutes générations, des designers émergeants, comme des chefs d’industrie, chorégraphes, compositeurs, photographes, architectes, journalistes, cinéastes … On a eu vraiment, je crois, le jury le plus extraordinaire.
"ILS ONT AIMÉ QUE VOUS LES REGARDIEZ DANS LES YEUX. ILS ONT AIMÉ QUE VOUS SOYEZ CONVAINCUS."
La veille du jury, je me suis souvenu de ma masterclass quand j’ai échangé avec vous. Je me suis alors demandé “est-ce qu’ils m’ont écouté ? Est-ce que je les ai motivé assez ? Parce que là, le jury, c’est du lourd et on a constitué un jury extraordinaire”. La veille, j’ai donc eu un peu de mal à m’endormir. Je me suis dit “c’est comme une bataille, il va y avoir une confrontation”. Déjà ce jury va devoir faire un groupe, faire une masse face à laquelle il va y avoir “ma” promotion. Eh bien je dois vous le dire, ça a été remarquable ! Remarquable ! Ils ont adoré votre travail. Ils ont aimé vos projets et ils ont aimé la manière dont vous en avez parlé. Ils ont aimé que vous les regardiez dans les yeux. Ils ont aimé que vous soyez convaincus. Ce n’était pas de l’ornemental, c’était “du lourd” aussi, de votre côté. Pourquoi ? Parce que vous n’y avez pas mis seulement votre travail, on sait que Penninghen est réputée pour être dure comme école, mais surtout la discipline. C’est formidable cette discipline. J’ai enseigné à l’Université de Vienne en Autriche pendant dix ans et j’ai compris ce qu’était la discipline et cette chose à transformer. Il y a le travail, présent partout, et la discipline. On a vu des ouvrages prêts à être édités, des mises en page remarquables, des propos d'architecture incroyables, des utopies transformées de telle manière qu’on y croit. C’est extraordinaire. Je veux vraiment vous féliciter pour ça. Ce qui m’a le plus ému dans tous les projets, c’est que vous êtes de retour au contact avec l’âme; avec l’âme et avec le temps. Je trouve que c’était l’une des marques les plus fortes de tous vos projets. Ce temps qui passe, les générations qui ont disparu, les générations qui vieillissent. Cette idée de cristalliser au travers de la beauté, au travers de l'art, le temps qui passe.
"AVOIR UN STYLE NE VEUT PAS DIRE EN ÊTRE PRISONNIER. IL FAUT LE RÉINVENTER EN PERMANENCE, EN CONTINUITÉ. IL FAUT SE RÉINVENTER."
Donc je suis ce soir un Président du jury très fier. J’ai essayé de bousculer au maximum Gilles, qui a aimé se faire bousculer. Il m’a laissé faire l’invitation, on a castelbajaquisé les diplômes, qui sont absolument magnifiques. Maintenant c’est la vie qui va commencer, c’est la dernière fête ce soir, mais aussi la première ! Vraiment ne lâchez rien ! Je vais dire une dernière chose sur moi : j’ai un style. Il plaît ou il ne plaît pas, mais c’est moi, et je ne l’ai jamais lâché. Cependant avoir un style ne veut pas dire en être prisonnier. Il faut le réinventer en permanence, en continuité. Il faut se réinventer. Merci à vous tous !
Discours Jean-Charles de Castelbajac, président du jury, parrain de la Promotion 2023, Cérémonie de remise des diplômes, Mercredi 21 juin 2023, Salle Gaveau Paris 8e.