Alice Roux, diplômée en ARCHITECTURE INTÉRIEURE EN 2011

Message d'état OK
PICTO_22
ALUMNI

Alice Roux, diplômée en Architecture Intérieure en 2011, crée des pièces singulières. À mi-chemin entre le mobilier et l’œuvre d’art, ses créations ont été remarquées lors de la dernière Design Week ainsi qu’une collaboration avec la plébiscitée artiste Malika Favre. À cette occasion, elle a accepté de revenir avec nous sur ses années à Penninghen, ses projets futurs et sa vision de la création

Peux-tu te présenter ?

Je me définis comme Artiste/Designer. Je n’ai pas trouvé meilleur titre pour le moment - sauf peut-être celui d’Artiste simplement qui par définition permet de regrouper une infinité de disciplines. Ce qui m’intéresse à travers ces deux termes, ce sont les notions de CRÉER et de FAIRE auxquels ils font écho. Je travaille autant comme « faiseuse » qui invente, dessine et fabrique des objets avec des fonctions que comme créatrice qui réalise des tableaux et peintures guidée simplement par l’intention d’un geste libre. Tout cela me vient d’une fascination pour le Décor.

Tantôt ornement, art décoratif ou tantôt espace scénique, le Décor est un terrain de jeu qui me permet de questionner la fonction de l’objet et notre rapport à eux. Je dis souvent que j’aime décrocher les tableaux du mur pour les faire vivre dans l’espace, que je fais des tableaux, du mobilier peint et des meubles-tableaux (quand ce n’est pas l’inverse). Inspirée par différentes traditions, c’est un univers personnel et plutôt hybride qui en résulte, quelque chose à la renoncer de l’Art, du mobilier d’art, de la décoration, de l’art fonctionnel et du design sans fonction.

Pourquoi as-tu choisi l'Architecture Intérieure à Penninghen ?

J’ai hésité longtemps entre la Direction Artistique et l’Architecture Intérieure et je crois qu’aujourd'hui je combine les deux. Bien que passionnée par les Arts graphiques, je ne me projetais ni en agence de publicité ni en communication visuelle et j’avais un attrait tout particulier pour le volume, la maquette et l’espace. J’ai préféré développer l’aspect graphique dans l’architecture. D’une certaine façon, j'y voyais la possibilité de faire de l’art graphique en trois dimensions. Je me souviens d’un projet très intéressant que nous avons eu en 4ème année dont le titre était “comment habiter 2050”. J’avais imaginé comme réponse que nous habiterions l’Art pour que l’Art nous habite en transcrivant en volumes d’architectures des tableaux de Kandinsky et de Sonia Delaunay. Graphisme, design, architecture, tout était réuni..

Quel a été ton parcours après Penninghen ?

J’ai goûté à une grande liberté de création à Penninghen, une liberté nouvelle à laquelle je n’étais pas prête de renoncer dès la fin de mes études. Je ne me sentais pas prête à rentrer en agence pour être exécutante, j’avais peur aussi. Inspirée par mon mari qui a choisi très tôt d’être artiste, j’ai préféré développer avec lui une pratique artistique entre installation, sculpture, vidéo et photographie. Nous avons beaucoup créé à quatre mains lors de nos nombreuses résidences à Uzès pendant lesquelles nous explorions la matière (bois, terre, feu, lumière) directement dans la nature.

C’était un terrain de jeu et d’exploration infini. C’était comme à l’école mais hors les murs ! Suite à cela nous présentions nos créations et le fruit de ces recherches. Lors d’une exposition à Paris dans le 14ème, le fondateur de la marque Cacharel a découvert notre travail et nous a proposé de créer une collection femme en revisitant l’ADN de la marque : la fleur et le Liberty, ses emblèmes iconiques. Nous avons proposé un concept d’imprimés peints à partir d’images issues de nos propres installations. Nous avions lancé notre premier projet de commande. À travers nos aventures en duo artistique, les traits plus spécifiques de notre création et de nos univers se sont dessinés pour nous donner l’envie de développer certains projets de façon plus individuelle.

Bien que le dialogue et l’échange entre nous soit permanent, j’ai commencé dès 2018 à signer mes premières créations en mon nom ce qui m’a apporté beaucoup de satisfaction et une expérience plus personnelle. Je crois que c’est important aussi pour l’identité. Nous avons fait nos armes seuls dans des domaines très différents ce qui nous permet aujourd’hui d’imaginer de nouveau des projets ensemble car nous identifions plus clairement nos qualités, nos différences et là où on se complète.

Considères-tu qu’il y a une méthode Penninghen ?

Oui ! À Penninghen, je crois qu’on apprend à définir pourquoi on fait les choses. L’école nous explique qu’on peut tous être talentueux, que nous sommes nombreux à l'être, mais qu'on ne raconte pas tous les choses de la même façon, qu'on n'a pas la même histoire. On nous apprend à développer ce qui est très personnel en nous, et que c'est ce qui fera la différence. Développer notre singularité. Définir son identité à travers sa création, sa propre façon de penser.

Un jour, un professeur m’a dit : "Tu es à l’école, tu n’as rien à craindre, alors Fonce !"

Comment abordes-tu la création dans ta pratique professionnelle aujourd'hui ?

Dans mon travail, je propose mes créations - mobilier ou tableaux - sous trois formes : la commande sur mesure, l’édition limitée et l’achat d'œuvres disponibles sur mon catalogue en cours. Je présente le plus souvent mon travail en galerie ou sur différents médias comme Instagram et je crois que mes projets sont autant en B2C qu'en B2B. Ce que j’aime particulièrement c’est le travail de commande avec des consoeurs et confrères architectes, décorateurs, designers ou artisans. J’aime répondre à un brief, coller à un projet, jouer avec les contraintes tout en ayant carte blanche. C’est passionnant et, en quelque sorte, ça me rappelle le rythme des projets et des échanges que j’avais à Penninghen avec les professeurs.

Plus les projets avancent et plus je réalise qu’il y a un temps long de conceptualisation que je considère nécessaire, mais qui est parfois difficile à justifier car il se passe souvent dans la tête. C’est le temps de la maturation où vont être apportées l'impulsion et l'originalité. C’est un aspect de la conception que je cherche à valoriser. J’ai aussi très envie de déployer mon travail de création dans l’espace, de changer d’échelle pour expérimenter le travail de décor pour le théâtre, la mode ou la musique. Je pense que c’est la prochaine étape de mes projets…

Quelle a été l'influence de Penninghen dans ton approche ?

À Penninghen j'ai découvert que la création pouvait être prise au sérieux, qu’il fallait en effet la considérer comme telle. J’y ai eu la révélation d'une vocation. J’ai découvert mon univers autour du travail de la couleur. J’y ai appris les bases indispensables sur le décor, l'architecture et le design. Tout s’est incarné dans mon diplôme d’ailleurs. J'ai appris à maîtriser l'harmonie, la composition, les codes, les règles. J'ai une obsession pour la composition.

Quel était ton projet de diplôme ?

Mon projet de diplôme présentait une mise en scène, un théâtre d’architectures en mouvements. Les comédiens étaient des volumes évoluant sur le plateau au rythme des dialogues d’un texte de Sartre. Je voulais donner vie aux objets ou volumes abstraits, sortir d’un rapport anthropomorphique pour transformer la perception de l’espace. Je jouais sur les lumières, la taille des volumes, les rapports d’échelle, les dessins des décors, le tout dans une maquette que j’avais fabriquée aux proportions de l’Opéra Bastille - rien que ça ! J'étais suivie par Armand Negroni qui m'a poussée à fond dans cette création très personnelle, il m’a encouragée. En me soutenant entièrement il m’a donné énormément confiance.

T'arrive-t-il de travailler avec des diplômés de Penninghen ?

Bien que j’entretienne un contact régulier avec mes amis de promo, l’école, l'administration et certains enseignants, je n’ai pas encore eu l’occasion de collaborer avec d’anciens diplômés. Mais j’en serais ravie ! Je crois que nous partageons des valeurs, des liens de pensée, des méthodes et une exigence particulière qui, d’une certaine façon, nous connecte. L’apprentissage, la pratique et la sensibilisation - dès la prépa - à tant de disciplines artistiques, par le travail de la main notamment, confèrent une singularité à notre formation, qui nous rassemble.

Que conserves-tu de Penninghen ?

J'y ai appris à dessiner. J’y ai appris la liberté de créer, d'exprimer une idée. J'ai aussi appris la rencontre et l'importance de l'échange avec les professeurs, le challenge, l'incarnation dans ses projets et aimer les défendre. La confiance en soi. C’est énorme. Au cours de mes études à Penninghen, dans le cadre d’un échange à Phoenix, Arizona, j’ai appris à travailler les décors de comédie musicale, à peindre des formats gigantesques, à faire du faux marbre entre autres. C’est une formation qui s’est ajoutée à mon cursus et qui m’a beaucoup appris pour la suite.

Peux-tu décrire la singularité de ton travail ?

Quand j’ai repris ma pratique de la peinture, j’ai eu l’intuition que je devais donner une “fonction” à mes tableaux pour les rendre différents et attirants. Pour le vendre surtout, car ça devenait urgent ! J’ai donc commencé à imaginer des tableaux réversibles, composés d’un côté et de l'autre. Un clin-d'œil au vêtement, l'endroit et l’envers du tissu et de sa doublure toujours dans cette idée et tradition des arts décoratifs. Ensuite j’ai pris ces mêmes tableaux et je les ai fixés au mur, comme une tablette murale, une petite étagère, une console. Ça a commencé comme cela, lorsque j’ai donné une fonction au tableau.

À Penninghen, j’ai appris la théorie et la pratique du dessin, mais si je voulais donner une fonction encore nouvelle à mes tableaux, je n’avais pas le savoir-faire d’un menuisier ou la maîtrise d’un artisan. Il a donc fallu que j’apprenne, que j’expérimente par moi-même. Je me suis aussi rapprochée de personnes compétentes. J’ai dû apprendre à expliquer ce que je voulais, à chercher les bons artisans pour trouver un savoir-faire que je n'ai pas quand c’était nécessaire. J’ai affiné un univers graphique, mon travail de couleurs. De formes très géométriques, mon travail est maintenant plus organique, sur la matière et la texture. Les couleurs et les gammes ne cessent d’évoluer. Je suis inspirée par Sonia Delaunay qui a compris l’importance de faire entrer l’Art dans le quotidien.

Pour rendre mes tableaux fonctionnels je devais éviter une simple protection au vernis qui a tendance à s'abîmer et qui aplatit le dessin. Après une longue phase de recherche et développement j’ai réussi à mettre au point une technique de laquage en résine pour mes supports et meubles en bois ou inox. C’est génial ! Ça donne un aspect visuellement brillant rappelant la céramique avec un effet de profondeur intense sur les couleurs. Un effet hyper glossy que j’ai aimé tant il contrastait bien avec le mat du noyer ou du métal. Alors que je cherchais juste un bon moyen pour protéger mes œuvres, c'est devenu emblématique de mon travail et sont nés mes premiers meubles-tableaux : table basse, console, guéridon, placard,etc.

Comment fais-tu évoluer ton travail ?

La majorité de mon temps est consacré à la gestion et la fabrication du mobilier peint et des tapisseries en éditions limitées ou commandes sur mesure. J’en suis ravie d’ailleurs, car même si rien n’est jamais acquis, c’est un premier objectif atteint. Aujourd’hui, je m’organise aussi pour dégager du temps et me consacrer à une création plus libre. D’une part parce que c’est quelque chose que j’adore et qui m’est fondamentalement nécessaire, mais aussi parce que ce sont des périodes riches d'expérimentations qui me donnent l’énergie et les idées pour tous mes projets. Je veux aussi me familiariser davantage avec une pratique plus traditionnelle de peintre et proposer des projets comme directrice artistique pour la théâtre, cinéma ou la mode tout en gardant la maîtrise (tant que possible) du « faire ».

Quelle a été ta participation dans le cadre de la Design Week 2023 ?

À l'invitation de l’artiste illustratrice Malika Favre, entourée d’autres créateurs, j'ai participé à Nuorama, un cycle de conférences créatives. C’était la première fois que je présentais mon travail dans le cadre d’une conférence et j’ai beaucoup aimé l’exercice. Cette conférence a aussi été l’occasion de représenter en avant première la collection Nested Lines que nous avons imaginée ensemble avec Malika. C’était beaucoup d’émotions en une soirée ! Parallèlement, la galerie Porte B dans le 10ème arrondissement, présentait une sélection de mon mobilier peint. Autant d'événements et de lieux qui osent connecter et croiser les disciplines ce qui me parle beaucoup. Le mois de septembre 2023 a été intense et je crois, une étape fondamentale dans mon parcours. Tout s’est accéléré depuis.

Comment s'est établie la collaboration avec l'artiste Malika Favre ?

Ma collaboration avec Malika Favre est en quelque sorte le fruit du hasard, mais surtout l’histoire d’une rencontre. Malika a découvert mon travail sur Instagram pendant le covid. Je ne la connaissais pas personnellement mais j’admirais son travail et notamment ses fameuses illustrations en couverture du New Yorker. Dans une de mes publications, elle a repéré une de mes tables qui lui plaisait et m’a tout simplement contactée pour me dire qu’elle voulait en connaître le prix ! Puis nous nous sommes très bien entendues et avons décidé de monter un projet autour de l’objet et de la couleur.

Notre rencontre s’est faite principalement autour de la couleur et de notre goût pour les objets. Nous avons donc signé notre première collection Nested Lines, composée de 4 objets - une table basse, une console, deux tablettes murales - en édition limitée, numérotée et signée. J’ai dessiné les meubles et Malika a créé les 4 tableaux d'oiseaux imbriqués qui sont peints sur les meubles, les transformant ainsi en un nid symbolique. Une porte s'est ainsi ouverte sur une collaboration totalement inattendue. C’est la magie des réseaux parfois !

Comment fais-tu connaître ton travail ?

Maintenant le bouche à oreille commence à bien fonctionner donc on me demande mon catalogue des œuvres disponibles que je dois mettre à jour très souvent et j’envoie. Puis il y a les galeries avec qui je travaille. Mais sinon c’est Instagram principalement qui m’a fait connaître. Je l’utilise beaucoup et ça m’a apporté de nombreux contacts dont des belles rencontres et commandes. Cette vitrine m’a aussi aidé à me développer et me montrer, je n’y arrivais pas avec un site internet qu’il faut tenir à jour. Il arrive souvent qu’on me passe des commandes en ayant vu l'objet uniquement sur instagram. Lorsque des architectes et décorateurs choisissent mes créations ou me passent commande pour les intégrer aux intérieurs qu’ils conçoivent, mon travail se retrouve dans des books d’agence ou figure dans des articles de journaux. Ça me permet d’être identifiée, d'entrer dans de nouvelles sphères et d’étendre mon réseau.

Quels sont tes projets dans les mois qui viennent ?

Depuis quelques semaines, je suis installée dans mon nouvel atelier à Bruxelles dans lequel j’ai actuellement un travail très important de production, avec entre autres les commandes de la collection Nested Lines. Je n’étais pas préparée à recevoir autant de commandes hors Europe (grâce au réseau international de Malika) ce qui demande aussi beaucoup de gestion, de logistique et d’administration… Mais c’est génial, ça m’ouvre tellement de portes ! Mes créations vont voyager jusqu’à New York, Londres, Milan. C’est un très beau cadeau. Je suis toujours seule à gérer mes projets de la conception à l’expédition en passant par la gestion et la fabrication donc je réfléchis à m’entourer sur certaines tâches.

Dans le cadre d’un festival de design et architecture d’intérieure, je voudrais présenter un projet de scénographie avec mon mari en janvier puis je prévois de répondre à des candidatures comme celle du Mobilier National dans le cadre de leur campagne d’acquisition annuelle de pièces de designers contemporains ou de la résidence la Villa Albertine à New York.

Quels conseils souhaites-tu donner aux étudiants de Penninghen ?

Je dirais qu’il faut se servir de toutes les opportunités qu’offre Penninghen et profiter du temps de l'école pour rêver, créer des projets fous, découvrir, expérimenter, même si ça fait peur. On est épuisé, ça je m'en souviens. Mais c'est aussi de là que naît l’énergie. Si vous ne rêvez pas maintenant, si vous n’imaginez que tout est possible pendant vos études, alors vous allez arriver en agence, certes avec une super technique, mais vous serez sans idées.

Venir avec des concepts, des idées, des propositions, un imaginaire, un univers, des références artistiques, des inspirations, une identité et toute votre originalité c’est ça qui fait la différence. Honnêtement, si on sait se surprendre soi-même, on saura l’appliquer ensuite pour le client, et - cerise sur le gâteau - on se fera plaisir !

Voir toutes les actualités